Emmanuel Macron se rend en Kanaky - Nouvelle-Calédonie en pleines
commémorations des 30 ans du massacre d’Ouvéa. Cette tribune collective,
publiée dans Mediapart,
appelle le président de la République à respecter la mémoire des Kanak
morts pour la lutte indépendantiste, à reconnaître officiellement les
crimes commis à Ouvéa et à s’abstenir de toute prise de position sur le
processus de décolonisation.
Alors que les commémorations des 30 ans du massacre d’Ouvéa ont
débuté le samedi 22 avril et à l’approche du référendum
d’autodétermination, Emmanuel Macron sera en visite officielle en Kanaky
- Nouvelle-Calédonie du 3 au 5 mai. Dans ce contexte, les organisations
et personnalités signataires soutiennent les appels collectifs adressés
au président français à respecter la mémoire des Kanak morts pour la
lutte indépendantiste, nombre d’entre eux ayant été tués par l’armée
française. Elles rappellent également que le référendum sur la pleine
souveraineté de Kanaky concerne avant tout les Kanak et les descendants
des « victimes de l’histoire » [1] et que la puissance coloniale et ses représentants ne doivent pas fausser ce processus.
Le 22 avril 1988 des militants kanak indépendantistes lancent une
occupation de la gendarmerie de Fayaoué sur l’île d’Ouvéa. Prévue pour
être pacifique, l’action dérape : 4 gendarmes sont tués et 27 pris en
otage. Une partie des otages est libérée très rapidement et l’autre
maintenue dans la grotte d’Ouvéa. Alors que des négociations sont en
cours, le gouvernement français décide dans l’entre-deux tours de la
présidentielle de lancer un assaut militaire contre la grotte le 5 mai,
au cours duquel 2 militaires et 19 militants indépendantistes sont tués,
certains exécutés d’une balle dans la tête. Il est également avéré
qu’avant l’assaut, les militaires français ont commis des mauvais
traitements sur la population locale de Gossanah (un village à
proximité), mais aussi ailleurs, afin d’obtenir des informations et de
localiser la grotte [2].
Chaque année les familles des victimes et les habitants d’Ouvéa
commémorent cette tragédie du 22 avril au 5 mai, désormais aux côtés des
gendarmes de Fayaoué dans une démarche de réconciliation. Le « Comité
des 30 ans des événements de Iaai » [3]
qui participe à l’organisation des commémorations a fait savoir dès le
16 avril puis à plusieurs reprises que la présence d’Emmanuel Macron sur
la tombe des 19 militants tués n’était pas souhaitée le 5 mai et serait
considérée comme une « provocation » [4], de même que le « Comité Vérité & Justice », qui juge que ce déplacement « n’est pas acceptable s’il n’est pas accompagné d’un geste dans le sens de la vérité et la justice » [5].
Pourtant à l’heure actuelle la visite officielle à Ouvéa est maintenue.
La tragédie d’Ouvéa s’inscrit dans la terrible lignée des crimes
coloniaux et néo-coloniaux commis par l’Etat français, qui présentent
des similitudes inquiétantes : impunité pour les responsables, vérité
soustraite aux victimes, secret défense appliqué aux archives. La
présence de la puissance coloniale aux commémorations d’Ouvéa sera vue à
juste titre comme un affront et comme la négation de la parole des
Kanak habitant sur place.
La visite d’Emmanuel Macron a également pour contexte la fin du
processus de décolonisation dans lequel Kanaky - Nouvelle Calédonie est
engagée depuis 30 ans. Le dernier Comité des signataires des accords
réuni à Paris en mars a fixé la date du référendum sur la pleine
souveraineté et l’accession à l’indépendance au 4 novembre prochain.
Lors de la campagne présidentielle française, Emmanuel Macron avait
déclaré qu’il souhaitait que la Nouvelle-Calédonie reste « dans la
communauté nationale ». D’autres représentants français, tels que Manuel
Valls et Christian Jacob en déplacement dans l’archipel au sein de la
mission d’information parlementaire sur l’avenir institutionnel de la
Nouvelle Calédonie, se sont également permis de déclarer officiellement
leur préférence personnelle pour le maintien de la tutelle française.
Aujourd’hui la position du chef de l’Etat, comme de tous les
représentants français, doit être impartiale. Une impartialité certes
factice puisque la France est la puissance coloniale, mais indispensable
désormais dans les discours et dans les actes afin de ne plus
interférer dans le choix et les débats des premiers concernés.
A l’approche de cette visite officielle, les organisations et personnalités signataires appellent donc le président français et sa délégation :
- à respecter la demande des Kanak d’Ouvéa de ne pas se rendre sur la tombe des 19 militants tués à Ouvéa à cette date symbolique ;
- à reconnaître officiellement les crimes commis à Ouvea et à ouvrir les archives les concernant ;
- à respecter le droit à l’autodétermination du peuple kanak et le processus de décolonisation engagé, et donc à s’abstenir de toute prise de position sur l’avenir de Kanaky - Nouvelle-Calédonie et de toute forme de pressions ou manipulations qui viseraient à influencer le résultat du référendum pour maintenir la tutelle française.
Organisations signataires :
- Les organisations membres du collectif Solidarité Kanaky :
- Association Survie,
- Mouvement des jeunes kanak en France (MJKF),
- Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE),
- Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak (AISDPK),
- Fasti,
- CNT
- Union syndicale Solidaires - Alternative libertaire
- Collectif ni Guerre ni Etat de Guerre
- Réseau Sortir du colonialisme
- Comité vérité et justice pour Adama Traoré
- Fondation Frantz Fanon
- Revue Mouvements
Signataires individuels :
- Vincent Charbonnier, philosophe, syndicaliste (SNESUP-FSU)
- Sergio Coronado, ancien député écologiste
- Laurence De Cock, historienne
- Mireille Fanon Mendes France, Ex UN expert, Consultante juridique
- Eric Fassin, sociologue, Paris 8
- Nacira Guénif, sociologue, Professeure Université Paris 8
- Jean Malifaud, universitaire
- Pierre Khalfa, économiste
- Silyane Larcher, chargée de recherche au CNRS en science politique
- Olivier Lecour Grandmaison, politologue, Université d’Evry-Val d’Essonne
- Seloua Luste Boulbina, philosophe, université Paris Diderot
- Christian de Montlibert, sociologue professeur émérite à Strasbourg
- Hélène Nicolas, maîtresse de conférences en anthropologie du genre, Paris 8-Vincennes-Saint-denis
- Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic
- Olivier Roueff, sociologue, chargé de recherche au CNRS
- Catherine Samary, économiste
- Omar Slaouti, militant antiraciste
- Françoise Verges, politologue
- Marie-Christine Vergiat, euro-députée Gauche européenne
Avec le soutien de :
- EELV
- Ensemble !
- NPA
- Parti Communiste des Ouvriers de France
- PIR
[1] Les personnes déportées vers la Nouvelle-Calédonie
[2] Cf. les récits des exactions commises relatées notamment dans Mourir à Ouvéa,
Alain Rollat et Edwy Plenel (Éditions La Découverte-Le Monde, 1988), ou
le rapport de la LDH « Enquête sur Ouvéa : rapport et témoignages sur
les évènements d’avril-mai 1988 »
[3] Ouvéa dans une des langues de l’île
[4] Voir
le communiqué de presse du « Comité des 30 ans » du 16 avril 2018 et
les déclarations dans la presse fin avril (par exemple « Gossanah : "NON au recueillement de Macron sur la tombe des 19" », francetvinfo.fr, 30 avril)
[5] dans
un courrier adressé par ce comité à Emmanuel Macron le 18 avril. Ce
comité est une initiative des familles des leaders indépendantistes
assassinés qui souhaitent connaître la vérité sur ces assassinats , il
revendique le droit à la vérité et à la justice pour les familles des
assassinés, comme pour l’ensemble du peuple kanak.
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