Congo Brazzaville : une élection à huis clos
Alors que la campagne pour l’élection 
présidentielle qui aura lieu le dimanche 20 mars 2016 se déroule dans un
 climat électrique et s’annonce à hauts risques, aucune institution 
internationale n’a jugé utile d’envoyer des d’observateurs. Ni l’Union 
européenne, ni l’Organisation internationale de la Francophonie, ni les 
Nations Unies ne veilleront au bon déroulement et à la transparence de 
ce scrutin. Pourtant, le bilan de la dernière consultation électorale en
 République du Congo, le 25 octobre dernier, a été lourd : 46 morts, 69 blessés et 4 disparus…
 L’Union africaine dépêche une mission mais elle ne sera composée que de
 35 personnes chargées de surveiller 5400 bureaux de votes. Les 
Congolais seront donc seuls. D’un côté, le Président Denis Sassou 
Nguesso, qui bat campagne avec tous les moyens de l’Etat, argent, 
presse, télévision, forces de l’ordre. De l’autre, l’opposition avec 
cinq candidats, tous venus d’horizons différents, mais unis, lors de 
cette échéance cruciale, afin de se donner la possibilité de détrôner un
 chef d’Etat au pouvoir depuis 32 ans...

Lecandidat-Président
Au début des années 1980, les Congolais dansaient en chantant un refrain populaire « Président Sassou Nguesso c’est l’homme des masses, c’est l’homme des masses.... » Mais très vite, le Président devient l’homme d’une famille, d’un clan. Lors de l’élection présidentielle de 1992, il arrive en troisième position et cède sa place à Pascal Lissouba. Il revient au pouvoir par les armes à la faveur de la guerre civile de 1997. Les blessures de ce conflit meurtrier, plus de 400 000 victimes, ne sont toujours pas refermées et Brazzaville porte encore les stigmates de cette guerre. Depuis, il est resté à la tête de l’Etat sans discontinuer en remportant dès le premier tour les élections présidentielles de 2002 et 2009. A 73 ans et après plus de trente années d’exercice, Denis Sassou Nguesso ne désarme pas. La constitution de 2002 ne lui permet pas de briguer un troisième mandat et il a atteint la limite d’âge fixée à 70 ans, qu’importe…
A l’automne 2016, il décide d’organiser 
un référendum afin de changer les deux articles de la constitution qui 
lui posent problème. L’opposition se mobilise, les 20 et 21 octobre, 
dans les trois grandes villes du pays, Brazzaville, Pointe-Noire et 
Dolisie où ont lieu d’importantes manifestations avec pour mot d’ordre 
« Sassoufit ». L’armée tire, le bilan est lourd. Les opposants 
sont assignés à résidence, internet est coupé, les communications 
téléphoniques extérieures sont brouillées, les SMS ne passent plus. Les 
médias internationaux ne sont plus accessibles. La République du Congo 
est coupée du monde. Le 25 octobre 2015, le tour est joué, le OUI 
l’emporte à 80%. Sassou Nguesso est donc rééligible. L’élection 
présidentielle aurait dû se tenir en juillet ou en août 2016, son mandat
 prenant fin le 14 août. Mais en décembre, le Président décide 
d’anticiper l’échéance, le scrutin aura lieu le 20 mars.
Le candidat-Président a-t-il choisi ce 
calendrier au hasard ? Pour les Congolais le mois de mars rappelle des 
événements douloureux. Le 4 mars 2012, l’entrepôt de munitions de 
Brazzaville explosait et 350 personnes décédaient lors de cet accident. 
Le 23 mars 1977 est le jour de l’assassinat du Cardinal Emile Biayenda ;
 le 25 mars 1977 correspond à l’exécution de l’ancien Président 
Massamba-Debat. Ces dates marquent l’histoire congolaise et personne ne 
croit à un hasard de calendrier, un opposant déclare : « C’est un 
climat général qui crée une situation de psychose. S’il n’est pas un 
imbécile, il est embarqué dans un déterminisme tragique… » Dès 
lors, selon un scénario désormais classique en Afrique lors d’une 
échéance électorale, la ville se vide. Les élites envoient leurs 
familles à l’étranger, les classes moyennes et les pauvres partent au 
village, quand ils le peuvent.
Pour le candidat-Président, et son parti
 le Parti Congolais du Travail (PCT) qui existe depuis 1969, il s’agit 
de rééditer l’exploit de 2002 et 2009, être élu au premier tour, réussir
 « un coup KO », un phénomène très tendance actuellement dans 
les pays d’Afrique francophone. Et il s’en donne les moyens. Sur les 26 
membres que composent la Commission nationale électorale indépendante 
(CNEI), trois seulement font partie de l’opposition, et encore, deux 
sont vraiment très modérés. Le fichier électoral n’a pas été révisé, les
 morts sont toujours inscrits. Les jeunes en âge de voter n’ont pas de 
carte d’électeur. Des cartes qui, par ailleurs, font l’objet d’une 
distribution à grande échelle. Une chaîne de télévision de Kinshasa a 
montré comment le précieux sésame était attribué aux habitants de la 
capitale de la RDC voisine et aux riverains de l’autre côté du fleuve 
Congo. Denis Sassou Nguesso est également très généreux, il offre 
pagnes, casquettes, tee-shirts, chemises et billets de banque.
Mais le candidat-Président, qui est 
aussi Général de son état, sait que ces libéralités ne suffiront pas. 
Selon un militaire congolais, entre septembre et décembre 2016, il a 
recruté 8000 jeunes, plus une compagnie entière de Burundais, qu’il a 
mis à la disposition de la Garde Républicaine et de la police. Ces 
contingents doivent être soutenus par des Centrafricains et des 
Tchadiens, ces derniers connaissent bien le pays, ce sont des déplacés 
des crises de la région qui se sont réfugiés au Congo depuis longtemps. 
Toujours selon ce militaire, 750 Rwandais ont été recrutés comme 
chauffeurs de taxi pour quadriller les villes et servir de sources de 
renseignements.
La charte de la victoire
Lors du référendum, l’opposition avait 
montré des failles et des faiblesses. Elle avait appelé au boycott du 
scrutin, laissant ainsi les mains libres au Président. Pour le scrutin 
présidentiel, elle a décidé de s’organiser. D’abord en présentant quatre
 candidats de chaque région afin que toutes les ethnies puissent être 
représentées et avoir des partisans dans tous les bureaux de vote pour 
contrôler les résultats. Parmi ces prétendants, qui ont tous été à un 
moment où à un autre membre du gouvernement ou conseiller de Denis 
Sassou Nguesso, se trouvent des pointures comme Pascal Tsaty Mabiala, 
Parfait Kolélas, André Okombi Salissa ou Claudine Munari. Après le 
référendum, le Général Jean-Marie Michel Mokoko, ancien chef 
d’Etat-major du Président, a démissionné de son poste de conseiller du 
Président chargé des questions de paix et de sécurité pour se présenter à
 cette élection. Il est considéré comme un candidat indépendant, mais 
fait front commun avec tous ceux qui ont signé la charte de la victoire.
 Cette plateforme est coordonnée par Charles Zacharie Bowao, un ancien 
ministre de la Défense. Outre leur unité, la force de cette opposition 
est de quadriller le pays et de connaître parfaitement les rouages du 
pouvoir et notamment de l’armée. Avec cette alliance un phénomène 
nouveau s’installe en République du Congo, le vote clanique s’estompe, 
les lignes bougent. C’est ainsi que le Général Mokoko, un nordiste a 
fait un tabac dans le sud à Pointe Noire lors d’un meeting. Du jamais vu
 dans ce pays. Ce qui permet à un opposant de dire : « Il y a une 
vraie prise de conscience citoyenne. On assiste à une évolution 
fortement positive qui va conduire à une recomposition du paysage 
politique. » Pour faire contrepoids à la CNEI, la plateforme a créé
 une Commission Technique Electorale chargée de compiler et de vérifier 
les résultats bureau par bureau. Mais à quatre jours du scrutin, la CNEI
 a décidé que les téléphones portables seraient interdits dans les 
bureaux de vote. Il est également fort probable qu’internet et toutes 
les communications soient coupés et que les candidats soient assignés à 
résidence comme lors du référendum. Faute d’observateurs étrangers, le 
duel à hauts risques s’engage donc à huis clos…
Les grands absents…
L’Union européenne a décidé de ne pas 
envoyer d’observateurs, car les conditions d’une élection transparente 
ne sont pas remplies et ne permettent pas « le caractère démocratique, inclusif et transparent de l’élection.» L’argument est spécieux. En effet, lors de la présidentielle en Côte d’Ivoire, l’UE n’avait pas envoyé d’observateurs
 officiellement pour des raisons de budget ; officieusement car les 
conditions d’un scrutin apaisé et transparent étaient remplies. Que 
faut-il pour que l’UE se préoccupe d’une élection en Afrique ? Le 
candidat Tsaty Mabiala a déploré cette absence : « Il fallait que 
l’UE et que d’autres institutions internationales qui ont du poids dans 
les affaires du Congo envoient des observateurs. Nous nous sentons 
abandonnés. »
L’Organisation internationale de la 
Francophonie (OIF) abandonne aussi les Congolais à leur sort. Elle 
n’envoie pas d’observateurs mais a dépêché un représentant : l’ancien 
Président du Burkina Faso, Michel Kafendo. Tout un symbole… En effet, le
 Président du Congo est un ami intime de Blaise Compaoré. Un mois avant 
le coup d’Etat du 16 septembre à Ouagadougou, Gilbert Diendéré ne se trouvait-il pas à Brazzaville
 ?  Un diplomate confie que la rencontre entre Denis Sassou Nguesso et 
Michel Kafendo du 14 mars a été glaciale, le premier aurait fait 
attendre le second de longues heures avant de le recevoir.
La France ne semble pas non plus très 
préoccupée par l’élection congolaise, François Hollande et Denis Sassou 
Nguesso entretiennent des rapports plus que cordiaux depuis juillet 
2016, date à laquelle le Président congolais a apporté son soutien à l’organisation de la COP 21.
 Avant cette date, la situation était plus tendue, notamment après le 
discours de François Hollande au sommet de la Francophonie à Dakar en 
novembre 2014. A cette occasion, le Président français déclarait : « : La
 Francophonie, elle est soucieuse des règles de la démocratie, de la 
liberté du vote, du respect des ordres constitutionnels et de 
l’aspiration des peuples, de tous les peuples, à des élections libres. 
Là où les règles constitutionnelles sont malmenées, là où la liberté est
 bafouée, là où l’alternance est empêchée, j’affirme ici que les 
citoyens de ces pays sauront toujours trouver dans l’espace francophone 
le soutien nécessaire pour faire prévaloir la justice, le droit et la 
démocratie. » Ces propos avait été perçus par Denis Sassou Nguesso 
comme un très mauvais signal. A l’époque, il envisageait déjà de 
modifier sa constitution. Grâce à la COP 21 et à son aide, les relations
 ont évolué. En octobre 2014, François Hollande ne déclarait-il pas : « Le Président Sassou Nguesso a le droit de consulter son peuple. » ? Cette petite phrase est déjà passée à la postérité en Afrique, car non seulement elle a été très mal vécue par les Congolais mais
 également par tous les Africains confrontés à la volonté de leur 
Président de modifier leur constitution pour rester au pouvoir.

L’ambassadeur de France, Jean-Pierre 
Vidon, n’a jamais rencontré les opposants en dehors de réunions dans le 
cadre de l’UE et semble préoccupé par un événement plus important que 
l’élection. Son excellence organise la semaine « Goût de France »
 pour promouvoir la gastronomie française. Le 21 mars à la case de 
Gaulle, résidence de l’ambassadeur et haut lieu historique puisque c’est
 là que le Général a dormi lors de la conférence de Brazzaville en janvier 1944,
 Jean-Pierre Vidon organise un dîner avec des invités triés sur le volet
 pour célébrer la cuisine française. A quelques jours du scrutin, dans 
une capitale tendue comme un arc, l’initiative n’est pas du goût de 
tous…
Une nouvelle fois en Afrique francophone autrefois appelée « le pré carré français »,
 l’ambassadrice américaine, Stephanie Sullivan, semble faire preuve de 
plus d’intérêt et comprendre mieux les enjeux que son homologue 
Jean-Pierre Vidon. Elle a reçu les opposants et leur a prodigué ses 
conseils. Cependant, le soutien reste minimum, le Congo n’est toujours 
pas au programme du National Democratic Institute présent pourtant lors de précédentes élections sur le continent.
Les Nations Unies sont également aux 
abonnées absentes. Selon un diplomate onusien, elles n’envoient des 
observateurs qu’à la demande des autorités nationales et la demande n’a 
pas été faite par le Président congolais. D’autre part, leurs missions 
sont longues et sont préparées six mois à l’avance. Comme l’élection est
 anticipée, la venue d’observateurs n’est pas possible…
Les Congolais seront donc seuls face à 
ce moment crucial de leur histoire. Si la terre tremble, il n’y aura pas
 de témoins. Si le ciel s’embrase, le feu s’allumera de l’autre côté du 
fleuve Congo, la RDC étant, elle aussi, dans une situation critique. 
Quand Brazzaville tousse, Kinshasa entend…